2001 L’Odyssée de l’Estaque, La Marseillaise 11 janvier 2001
Au théâtre Gyptis : Le bal des muges
Pourvu de quelques talentueux équipiers, le groupe Quartiers Nord revient à la scène avec une odyssée made in Marseille. Typiquement loufoque.
S’il y a un groupe mythique à Marseille, c’est celui-là. Bien avant IAM et consorts, Quartiers Nord hissait le pavillon phocéen au-delà des frontières régionales. Commencée à la fin des années 70 autour des tendances hard en vigueur, l’aventure s’était rapidement affirmée comme le groupe rock made in Marseille. Un rock aux textes parodiques, parsemé d’aïoli et de ragga. Des membres fondateurs, ne demeurent aujourd’hui que le parolier et chanteur Robert Rossi, indéboulonnable pilier de la formation, et le musicien Alain Chiarazzo, parti sous d’autres cieux en 88, revenu à l’occasion de cette nouvelle odyssée avec la casquette de compositeur.
L’odyssée en question c’est celle de l’Estaque. Quartiers Nord a eu l’idée d’une opérette rock marseillaise, un genre musical Inédit qui mêle auto-parodie et verve méridionale à l’énergie du rock. Pour l’opérette, il faut aller chercher du côté de l’argument : l’histoire délirante et improbable d’un enfant du pays abandonné bébé dans une poubelle et recueilli par une femme de ménage haute en couleurs qui lui révélera, avant d’expirer, ses véritables origines : Arblade n’est autre que le fils illégitime de Réda Caire, l’une des idoles de l’opérette phocéenne d’entre les deux guerres, et d’une adolescente de l’époque que Le jeune orphelin n’aura de cesse de retrouver. Une quête absurde et dérisoire, prétexte à souligner les mythes d’un Marseille excessif et outrageusement populaire.
Pourvu de quelques talentueux complices de la scène locale, comme Marie Démon (et sa voix d’ ange pervers), Étienne Jesel et Philippe Torrel, le trio de Leda Atomica, Guillaume Bonnet et Thierry Massé aux instruments, Frédéric Achard ou encore Edmonde Franchi (et son imposante truculence), Quartiers Nord crée, avec une joyeuse et ébouriffante trivialité, une galerie de personnages loufoques, du curé arnaqueur (Gilbert Donzel, irrésistible) au chef des Loosers, supporters de l’OM virage Ouest. De l’Alcazar à l’Estaque, plus un petit détour par la Belle de Mai, le héros est soumis à une série d’épreuves fantaisistes dont la partie de pêche à Corbières, dans le pointu, n’est pas la moins savoureuse… Toute la verve et les excès langagiers y passent ; on y mord comme des muges juste avant de s’enraguer dans le fou rire.
Le livret, inspiré, fait la part belle au parler marseillais. Les bras cassé, radasse, toti, estrasse, cacou, parisien, gabian, bouche…, plus ou moins tendres mais toujours drôles gracieusetés, défilent. Le spectacle enchaîne les bons mots, pas toujours audibles, live oblige (on peut se rattraper avec le CD auto-produit par le groupe). Mis en scène par Yves Fravéga, très à l’aise dans ce répertoire mêlant énergie théâtrale et vitalité musicale, l’opus est parfaitement réglé tout en laissant aux protagonistes l’espace nécessaire à se débrider. On pense à Izzo, Carrèse et Guédiguian, même si la fable caricaturale dégénère ici en monstre farce.
Ouvert sur Ainsi parlait Zarathoustra, emblème musical de 2001 l’odyssée de l’espace, auquel ce pastiche du 3ème millénaire emprunte son titre, la première représentation de l’opérette rock s’est achevée, mardi soir, sous l’ovation d’un public conquis, venu des quatre coins de la cité phocéenne applaudir l’évocation de leur ville par un groupe mythique qui bouge encore un peu bien
Letitzia DANNERY
Quartiers Nord, spectacle 2001 L’Odyssée de l’Estaque, presse, La Marseillaise 11 janvier 2001